mercredi 28 février 2018

Déclinaisons forestières (2)


Je continue avec cet article à rendre hommage aux arbres, en reprenant des extraits d'un très beau texte rédigé par Anne Le Maître, auteur et aquarelliste à Dijon.



Mon frère l'arbre

 

A ma naissance, mes parents ont fait planter pour moi un arbre. […] Comme lui, je vais de saison en saison ; comme lui, je m’alanguis en hiver et danse de joie au retour du printemps. Comme lui, je m’étire dans la lumière, je lance mes bras vers le ciel, je transforme en joie le baiser du soleil. […]

Mon frère l’arbre. […]


J’ai longtemps fréquenté les hêtres sans savoir qu’ils étaient un peu de ma famille. […] Les plus solides protègent les plus fragiles des rigueurs de l’hiver. Ils ont incorporé à leurs racines rochers, terre et mousse en parts égales, remuant et modelant le sol sous leur ombre. […] J’ignore quel âge ils peuvent avoir, quelle main depuis longtemps retournée à la poussière les a plantés là, comme des sentinelles au passage du col. Le déploiement de leur vie excède de beaucoup l’ampleur de mes jours. Avant moi, ils étaient ; là plupart d’entre eux me survivront. Je trouve à cette pensée quelque chose d’étrangement rassurant. Elle me renvoie obscurément à la promesse du Dieu de l’Alliance, prononcée au lendemain du Déluge : « Tant que la Terre durera, semailles et moissons, froidure et chaleur, été et hiver, jour et nuit ne cesseront plus ».

Un hêtre encore. […] Il se tient là comme un roi parmi les géants, majestueux et sorcier. […] A me tenir à ses pieds dans le silence de la forêt par un matin de brume, l’idée de son pouvoir n’était en rien saugrenue. […]


Les frênes nourriciers veillaient sur la vallée comme veillaient sur les collines les châtaigniers, leurs frères. Arbre fourrage, le frêne, arbre-monde des mythologies germano-scandinaves, arbre d’immortalité qui relie l’univers souterrain au plus haut du cosmos. […]
 
Je marche sous les arbres et j’arpente dans le même mouvement la forêt des mythes et des songes. Tant il est vrai qu’aimer le monde, c’est le découvrir peuplé de significations et de symboles qui dépassent de beaucoup l’échelle de notre existence. Ce pourquoi notre monde est plus grand que le monde, notre vie plus vaste que la vie. […]

Je les ai aimés.

Ils m’ont veillée.

Tant de troncs et de houppiers, tant de feuilles, de bourgeons, de glands, de châtaignes et de samares. Tant d’écorces rugueuses plus familières que des peaux. Les poches bourrées de marrons bien cirés aux premiers jours d’automne. La caresse argentée des doux chatons de saule. Le parfum enivrant des feuilles de peuplier. Les pommes aigres maraudées dans les vergers en friche, les cerises en boucles d’oreille écarlates…
Ma vie, comme un jardin un peu mal fichu, par endroits envahi de sauge et de pissenlits, ma vie comme un parc dont on peinerait à retrouver le dessin, ma vie est plantée d’arbres. […]


Le temps des promesses semble bien loin tandis que se dépouille feuille après feuille la parure de pourpre et de bronze [du charme], ne laissant bientôt qu’un squelette, un fin réseau de branches noires, une silhouette frêle. Je regarde ton corps de douleur allongé dans la pénombre. Je change de siècle, je reste en littérature et te murmure : « Ce que je vois là n’est qu’une écorce. Le plus important est invisible. »

Et pourtant, sous l’écorce, la promesse demeure. Dans la vie qui s’endort, la vie est encore là. […]

Un jour – ciel de perle et de vent frais –, c’est la grâce d’un saule planté à l’arrière-plan qui attire le regard. […] L’arbre vert-de-gris qu’un pâle soleil nuance d’argent n’a pas encore perdu ses feuilles et le sol à ses pieds est d’herbe bien verte. […] Souvenir du printemps que ce vert, et cette lumière d’argent qui vient pour un instant baigner notre misère. Souvenir ou annonce, c’est selon. Et c’est la grâce des temps cycliques que de ne pas trancher, ne pas dissocier le passé de l’avenir, de tout confondre en une même espérance. […]


De même que « mes arbres » ne m’appartiennent en rien, de même ces derniers arbres ne sont en rien les derniers. Ils reverdiront, comme leurs semblables, au prochain avril, et, avec eux, jardins et forêts danseront de joie. Longtemps encore, ils rediront, au rythme de la Terre et de ses saisons, vie, mort et renaissance. Et d’autres pousseront sous lesquels se chicaneront les moineaux et les pies, à l’ombre desquels marcheront les amoureux du jour. Ce ne sont pas les derniers, et ce n’est pas la fin.

Nos arbres.

Bergers immobiles de la mouvante espèce humaine, phares haut dressés sur le ressac des jours et des générations. […]


Pour l’intégralité du texte, c’est par là...
Et pour voir le travail d'Anne, voici ses blogs : ici, pour l'aquarelle, et là pour les mots.

samedi 17 février 2018

Lac de Garde... 2ème version !

Voici une deuxième version du village de Torri del Benaco, sur le lac de Garde en Italie (l'original revient à Heinz Schweizer). L'objectif était de refaire le tableau sur un grand format. Voilà le résultat en 36 x 51 cm !

 
Torri del Benaco, Lac de Garde (2018)


PS : J'ai eu du mal à prendre un cliché de cette peinture car une petite bestiole voulait lui voler la vedette... La preuve par l'image !


dimanche 11 février 2018

Déclinaisons forestières (1)


Aux arbres
Arbres de la forêt, vous connaissez mon âme!
Au gré des envieux, la foule loue et blâme ;
Vous me connaissez, vous! - vous m'avez vu souvent,
Seul dans vos profondeurs, regardant et rêvant.
Vous le savez, la pierre où court un scarabée,
Une humble goutte d'eau de fleur en fleur tombée,
Un nuage, un oiseau, m'occupent tout un jour.
La contemplation m'emplit le cœur d'amour.
Vous m'avez vu cent fois, dans la vallée obscure,
Avec ces mots que dit l'esprit à la nature,
Questionner tout bas vos rameaux palpitants,
Et du même regard poursuivre en même temps,
Pensif, le front baissé, l'œil dans l'herbe profonde,
L'étude d'un atome et l'étude du monde.
Attentif à vos bruits qui parlent tous un peu,
Arbres, vous m'avez vu fuir l'homme et chercher Dieu!
Feuilles qui tressaillez à la pointe des branches,
Nids dont le vent au loin sème les plumes blanches,
Clairières, vallons verts, déserts sombres et doux,
Vous savez que je suis calme et pur comme vous.
Comme au ciel vos parfums, mon culte à Dieu s'élance,
Et je suis plein d'oubli comme vous de silence!
La haine sur mon nom répand en vain son fiel ;
Toujours, - je vous atteste, ô bois aimés du ciel! -
J'ai chassé loin de moi toute pensée amère,
Et mon cœur est encore tel que le fit ma mère!

Arbres de ces grands bois qui frissonnez toujours,
Je vous aime, et vous, lierre au seuil des autres sourds,
Ravins où l'on entend filtrer les sources vives,
Buissons que les oiseaux pillent, joyeux convives!
Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois,
Dans tout ce qui m'entoure et me cache à la fois,
Dans votre solitude où je rentre en moi-même,
Je sens quelqu'un de grand qui m'écoute et qui m'aime!
Aussi, taillis sacrés où Dieu même apparaît,
Arbres religieux, chênes, mousses, forêt,
Forêt! c'est dans votre ombre et dans votre mystère,
C'est sous votre branchage auguste et solitaire,
Que je veux abriter mon sépulcre ignoré,
Et que je veux dormir quand je m'endormirai.

                                                                      Victor Hugo