Je
continue avec cet article à rendre hommage aux arbres, en
reprenant des extraits d'un très beau texte rédigé par Anne Le
Maître, auteur et aquarelliste à Dijon.
Mon frère l'arbre
A
ma naissance, mes parents ont fait planter pour moi un arbre. […]
Comme lui, je vais de saison en saison ; comme lui, je
m’alanguis en hiver et danse de joie au retour du printemps. Comme
lui, je m’étire dans la lumière, je lance mes bras vers le ciel,
je transforme en joie le baiser du soleil. […]
Mon
frère l’arbre. […]
J’ai
longtemps fréquenté les hêtres sans savoir qu’ils étaient un
peu de ma famille. […] Les plus solides protègent les plus
fragiles des rigueurs de l’hiver. Ils ont incorporé à leurs
racines rochers, terre et mousse en parts égales, remuant et
modelant le sol sous leur ombre. […] J’ignore quel âge ils
peuvent avoir, quelle main depuis longtemps retournée à la
poussière les a plantés là, comme des sentinelles au passage du
col. Le déploiement de leur vie excède de beaucoup l’ampleur de
mes jours. Avant moi, ils étaient ; là plupart d’entre eux
me survivront. Je trouve à cette pensée quelque chose d’étrangement
rassurant. Elle me renvoie obscurément à la promesse du Dieu de
l’Alliance, prononcée au lendemain du Déluge : « Tant
que la Terre durera, semailles et moissons, froidure et chaleur, été
et hiver, jour et nuit ne cesseront plus ».
Un hêtre encore. […] Il se tient là comme un
roi parmi les géants, majestueux et sorcier. […] A me tenir à ses
pieds dans le silence de la forêt par un matin de brume, l’idée
de son pouvoir n’était en rien saugrenue. […]
Les
frênes nourriciers veillaient sur la vallée comme veillaient sur
les collines les châtaigniers, leurs frères. Arbre fourrage, le
frêne, arbre-monde des mythologies germano-scandinaves, arbre
d’immortalité qui relie l’univers souterrain au plus haut du
cosmos. […]
Je
marche sous les arbres et j’arpente dans le même mouvement la
forêt des mythes et des songes. Tant il est vrai qu’aimer le
monde, c’est le découvrir peuplé de significations et de symboles
qui dépassent de beaucoup l’échelle de notre existence. Ce
pourquoi notre monde est plus grand que le monde, notre vie plus
vaste que la vie. […]
Je
les ai aimés.
Ils
m’ont veillée.
Tant
de troncs et de houppiers, tant de feuilles, de bourgeons, de glands,
de châtaignes et de samares. Tant d’écorces rugueuses plus
familières que des peaux. Les poches bourrées de marrons bien cirés
aux premiers jours d’automne. La caresse argentée des doux chatons
de saule. Le parfum enivrant des feuilles de peuplier. Les pommes
aigres maraudées dans les vergers en friche, les cerises en boucles
d’oreille écarlates…
Ma
vie, comme un jardin un peu mal fichu, par endroits envahi de sauge
et de pissenlits, ma vie comme un parc dont on peinerait à retrouver
le dessin, ma vie est plantée d’arbres. […]
Le
temps des promesses semble bien loin tandis que se dépouille feuille
après feuille la parure de pourpre et de bronze [du charme], ne
laissant bientôt qu’un squelette, un fin réseau de branches
noires, une silhouette frêle. Je regarde ton corps de douleur
allongé dans la pénombre. Je change de siècle, je reste en
littérature et te murmure : « Ce que je vois là n’est
qu’une écorce. Le plus important est invisible. »
Et
pourtant, sous l’écorce, la promesse demeure. Dans la vie qui
s’endort, la vie est encore là. […]
Un
jour – ciel de perle et de vent frais –, c’est la grâce d’un
saule planté à l’arrière-plan qui attire le regard. […]
L’arbre vert-de-gris qu’un pâle soleil nuance d’argent n’a
pas encore perdu ses feuilles et le sol à ses pieds est d’herbe
bien verte. […] Souvenir du printemps que ce vert, et cette lumière
d’argent qui vient pour un instant baigner notre misère. Souvenir
ou annonce, c’est selon. Et c’est la grâce des temps cycliques
que de ne pas trancher, ne pas dissocier le passé de l’avenir, de
tout confondre en une même espérance. […]
De
même que « mes arbres » ne m’appartiennent en rien, de
même ces derniers arbres ne sont en rien les derniers. Ils
reverdiront, comme leurs semblables, au prochain avril, et, avec eux,
jardins et forêts danseront de joie. Longtemps encore, ils rediront,
au rythme de la Terre et de ses saisons, vie, mort et renaissance. Et
d’autres pousseront sous lesquels se chicaneront les moineaux et
les pies, à l’ombre desquels marcheront les amoureux du jour. Ce
ne sont pas les derniers, et ce n’est pas la fin.
Nos
arbres.
Bergers
immobiles de la mouvante espèce humaine, phares haut dressés sur le
ressac des jours et des générations. […]
Pour
l’intégralité du texte, c’est par là...
Et pour voir le travail d'Anne, voici ses blogs : ici, pour l'aquarelle, et là pour les mots.
Merci Marion. Je suis très touchée...
RépondreSupprimerEt moi je te remercie pour la beauté des textes que tu écris...
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